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Tenir compte de ses erreurs pour mieux apprendre : l’enseignement des neurosciences.

« Neurosciences cognitives et éducation à l’Université », conférence de Grégoire Borst, professeur de Psychologie du développement et de neurosciences cognitives de l’éducation, LaPsyDé, Université Paris-Descartes. sur les facteurs de développements cognitifs de l’enfant à l’adulte.  Cette conférence a été donnée dans le cadre des journée de e-pédaogogie, le 30 juin 2016, à l’Université du Maine.

Nous avons synthétisé les éléments clés de cette conférence, dans l’article ci-dessous.

Pour voir la retransmission de cette conférence, cliquer sur le lien ci-dessous.

http://umotion.univ-lemans.fr/video/0441-neurosciences-cognitives-et-education-a-luniversite-journee-e-pedagogie-2016/

Schéma Psyadom inhibition - automatisation

 

 

2 mécanismes d’apprentissages :

I.  Automatisation des savoirs : la répétition d’une connaissance ou d’un processus entraine son automatisation.  La tâche automatisée devient implicite, intuitive et rapide.  Elle ne requiert pas d’effort conscient, et ne requiert pas de mobilisation cognitive importante.  Ce mode de fonctionnement est rapide, économique mais peu fiable.

Ce système s’apparente à la pensée heuristique : système de pensé intuitif et rapide, qui ne repose pas sur l’analyse détaillée des informations mais sur un processus réflexe dont émerge une réponse probable construite implicitement et empiriquement à partir des expériences passées.

Au niveau cérébral, ce processus d’automatisation suit un parcours antéro-posterieur : face à un apprentissage nouveau, ce sont les fonctions antérieures du cerveau qui sont à l’oeuvre.  Ces régions sont en charges de processus coûteux sur le plan cognitif : mobiliser son attention sur la tâche à apprendre.

Après plusieurs expositions à la même tâche ou à la même connaissance, il y a automatisation du savoir.  Les parties antérieures ne sont plus autant mobilisées, relayées par les zones sensori-motrices, postérieures du cerveau, qui traitent de manière implicite les informations.

II. Inhibition des automatismes : l’autre mécanisme va à l’encontre du premier.  Il s’agit au contraire d’inhiber un processus automatisé et intuitif afin d’effectuer un raisonnement analytique.  Ce mode de fonctionnement fait appel à la pensée analytique et au raisonnement, il est plus lent, représente un coût cognitif plus important mais est plus fiable que la pensée heuristique.

Ce système d’inhibition s’apparente à la pensée algorithmique, ou pensée réfléchie logico-mathématique, laquelle implique l’inhibition de la pensée automatique heuristique et des biais d’appariement sensori-moteur (une perception renvoie à une réponse / comportement automatique).

Au niveau cérébral, ce mécanisme d’inhibition suit un parcours postéro-antérieur : des zones sensori-motrices du cerveau (en cause dans les automatismes) vers les zones antérieures, fronto-pariétales, responsables des processus d’inhibition nécessaires pour empêcher une réponse automatique.

Pour apprendre, ces 2 processus sont nécessaires : il s’agit d’acquérir des automatismes afin de rendre certaines tâches intuitives et moins coûteuses, mais également de déconstruire et d’inhiber certains de ces automatismes afin de pouvoir s’adapter à une tâche nouvelle et de ne pas persévérer dans ses erreurs.

Il est intéressant de noter que les erreurs sont souvent le fruit d’une compétition entre pensée heuristique et pensée algorithmique et non engendrée par un manque de connaissances.  Souvent, face à un exercice, l’élève répond précipitamment avec une réponse automatique qui peut l’induire en erreur.  La pensée heuristique n’a pas été inhibée au profit d’une pensée analytique.  Aussi, au sein de l’enseignement, il s’agirait d’apprendre aux élèves à inhiber les réponses automatiques, à analyser les réponses erronées plutôt que de répéter mainte en mainte fois une même connaissance (ce que l’on désigne péjorativement comme « bourrage de crâne »).

Une expérimentation décrite dans cette vidéo montre la supériorité de l’apprentissage de l’inhibition et de l’analyse des erreurs versus l’enseignement explicite de la logique à acquérir pour accomplir une tâche.  Or dans l’enseignement classique, c’est essentiellement l’enseignement explicite qui est à l’oeuvre.  Il s’agirait ainsi de consacrer davantage de temps à l’analyse des erreurs, à l’analyse des stratégies à l’oeuvre dans les apprentissages, et à l’inhibition des réponses automatiques.

Quel enseignement tirer de ces 2 mécanismes d’apprentissage ?

Cette nécessité d’apprendre aux élèves à inhiber les réponses automatiques et à acquérir des capacités d’auto-contrôle (contrôle cognitif ET comportemental) est d’autant plus primordiale qu’il est désormais connu que ces capacités d’auto-contrôle sont bien plus prédictives de la réussite scolaire, professionnelle et personnelle que le QI.  Les travaux en sciences de l’éducation et en science cognitives confirment cette hypothèse : les fonctions exécutives (fonctions cognitives de la régulation des comportements, du contrôle des actions et de l’inhibition des pensées automatiques) sont bien plus prédictives que le QI au regard de la réussite scolaire.  Ces fonctions exécutives et capacités d’auto-contrôle permettent notamment de différer une récompense, et de ne pas tomber dans le piège de la récompense immédiate (vais-je bâcler mon travail pour une récompense immédiate qui serait de me divertir ou vais-je poursuivre mon travail en vue d’une récompense différée qui serait de réussir mon examen ? ).

 

Quelques exemples de jeux d’inhibition qui peuvent entrainer ces capacités d’auto-contrôle :

Pour les élèves de primaire :

Jacques a dit,

Un deux trois soleil.

Pour les collégiens et lycéens :

Ni « oui » ni « non »,

Tabou (mots interdits).

 

Comment accompagner les élèves ?

Les psychopédagogues de Psyadom accompagnent les élèves du CP aux études supérieures.  A tout âge, les erreurs de précipitation et le défaut d’inhibition sont présents.  Après une première phase d’observation de l’élève / étudiant, en vue d’évaluer les capacités d’inhibition, un travail de métacognition est mis en place : permettre à l’élève de prendre conscience de ses erreurs, de ses réponses automatiques, puis lui proposer des stratégies d’apprentissage lui permettant de ne pas persévérer dans ses erreurs, d’avoir une meilleure analyse des consignes et de ce qui est attendu et de repérer plus précisément les stratégies à mettre en oeuvre pour résoudre la tâche demandée.

 

Développement des apprentissages :

Les théories de Jean Piaget qui ont longtemps fait référence dans le champ des sciences cognitives sont remises en causes (pour certaines) depuis l’avénement des neurosciences.  En effet, selon Jean Piaget, le développement cognitif est linéaire et cumulatif, c’est à dire que l’enfant acquiert progressivement des connaissances et savoirs, qui s’ajoutent les uns aux autres.  Or les travaux de recherche en sciences cognitives et neurosciences infirment cette hypothèse.  L’apprentissage et le développement cognitif sont des processus non linéaires, émaillés de phases de progression et de régression.

 

Plasticité cérébrale :

La connectivité entre les réseaux de neurones du cerveau (ayant pour reflet la densité synaptique) et le développement de certaines zones du cerveau (ayant pour reflet l’épaisseur corticale) vont être modelés par les apprentissages.  Ainsi, l’apprentissage implicite, qui prévaut dans la petite enfance est accompagné d’un développement conséquent des aires sensori-motrices, postérieures du cerveau.  Plus tard, en fonction des apprentissages privilégiés de chacun, les zones les plus sollicitées vont se développer préférentiellement : c’est le cas de la mémoire à long terme chez les étudiants en médecine, des aires visuo-spatiales chez les chauffeurs de taxi …. L’important est de retenir que cette plasticité cérébrale persiste à l’âge adulte, et que le cerveau est donc en mesure de se modeler, afin de gagner en efficacité sur les tâches auxquelles il est soumis de manière répétée.

 

L’inné et acquis : 

A côté des qualités cérébrales acquises sous le poids des apprentissages, grâce à la plasticité cérébrale, il existe un terrain cognitif inné. En effet, des facteurs génétiques et prénataux (facteurs intra-utérin comme les infections pendant la grossesse par exemple) déterminent en partie le fonctionnement cognitif de chacun.  Cela est illustré notamment par la variabilité morphologique des motifs sulcaux (forme des sillons à la surface du cerveau).  La morphologie sulcale est innée, déterminée in utero et stable tout au long de la vie.

La morphologie sulcale du cortex cingulaire antérieure (zone médiale pré-frontale, à l’avant du cerveau) rend compte en partie des capacités d’inhibition d’un individu (20 % de la variance des performances sur les tâches d’inhibition).  Les performances en lecture s’expliquent également en partie par la morphologie sulcale des aires de reconnaissance visuelle des mots et des lettres.

 

Article rédigé par Camille Benoit.  

Crédit image : Icon made by Freepik from www.flaticon.com.

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