Ce titre surprendra les gens n’appartenant pas au peuple des écoliers. Mais il exprime parfaitement ce qu’est un début d’année scolaire – cette première semaine de septembre vieille comme nos arrières-arrières-grands-parents : le départ d’un voyage au long cours, d’une circumnavigation longue et hasardeuse, comme l’étaient les voyages de découverte aux époques de Colomb, Magellan, Verrazano…
Toutes les conditions sont réunies pour donner l’illusion d’une reconstitution historique, lorsque les parents abandonnent leurs moussaillons sur les quais du collège, les couvrant de recommandations et tendresses comme s’ils ne devaient plus les revoir avant longtemps. Les enfants, pour leur part, selon leurs personnalités, tremblent comme des feuilles à l’idée des monstres marins qui les attendent, ou fanfaronnent déjà, en se constituant ou reconstituant la coterie avec laquelle ils iront amasser des trésors d’expériences, plus ou moins approuvées, jamais inutiles, dans le monde dangereux des requins du XXIe siècle.
Les profs figurent la bande des officiers, ressemblant, dans leurs transports de questionnements et de jovialité, à l’équipage des élèves – avec ces quelques détails en plus, qui font la barrière entre ceux qui doivent commander, pour leur malheur, et ceux qui doivent obéir, pour leur bien… Tenues soignées, équipements déjà complets, impeccables, regards assurés et scrutateurs sur la foule fiévreuse, conscients des sursauts de la fortune qui guettent le voyage avant même qu’il ait commencé.
A l’autre bout de la chaîne de responsabilités, les élèves n’ont que leurs caractères plus ou moins trempés, leur ignorance plus ou moins solide, pour entrevoir quelque perspective rassurante, dans le grand bain où ils se trouvent plongés : retrouver les copains, certaines habitudes, sortir de l’ennui des vacances.
Si, si, je vous assure, pour beaucoup de graines d’aventuriers, les vacances sont d’un ennui comparable au pot-au-noir dans lequel les voiliers peuvent avoir la malchance de tomber à la sortie du Golfe de Gascogne : absence de vent, calme plat, qui fait que des jours de vie, potentiellement passionnants, sont à jamais perdus dans l’attente que quelque chose se passe.
Facile, dans la troupe bigarrée des matelots et -otes en passe d’embarquer, de cerner la physionomie générale des individus et des groupes : qui seront les pirates, les bons soldats, les mercenaires indisciplinés, les intellectuels et artistes du bord, les colons avec leurs familles de copains aux côtés.
A cet âge, les genres étant distribués, en apparence, de façon caricaturale, mais dans le fond, pas si nette que ça, on trouve des équivalents féminins à tous les types masculins énumérés, et inversement pour les stéréotypes suivants : la comtesse, la couturière, la nourrisse, la comédienne, la cuisinière du bord. Ainsi, dans le temps, on trouvait principalement des hommes à ce poste, les « cuistot » – car emmener les femmes portait malheur (sic) –, dont on découvre l’avatar scolaire sous les traits bien-en-chair d’un gamin rigolard, au milieu d’un groupe auquel il raconte ses vacances d’une façon apparemment impayable.
Il y a aussi les petites choses, perdues, aux teints diaphanes, aux grands yeux mouillés, presque noyés, qui semblent les éléments d’un service de porcelaine, dans un magasin d’antiquités où l’on aurait introduit un éléphant en furie.
Mais si le passage dans le grand bain est toujours difficile, que les armateurs parentaux se rassurent, leurs petits explorateurs sont toujours équipés de bouées de sûreté, qu’on finit par leurs enlever, au moment où l’on est bien sûr qu’ils ne s’en rendront pas compte.
Il y a toujours des naufrages, mais heureusement, à cet âge-là, on a encore plusieurs vies devant soi. »
Article rédigé par Jean-Baptiste Veber.
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