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Article rédigé par Florent Bersani, relecture par Camille Benoit.

I. Faire un rêve

II. Le réaliser

“In theory there is no difference between theory and practice. In practice there is.”

Yogi Berra

Si la sagesse populaire foisonne de conseils bien intentionnés, comme Oscar Wilde qui recommande de “toujours viser la lune car même en cas d’échec, on atterrit dans les étoiles », l’enfer en est pavé. Le risque est bien réel, à force d’avoir raté l’astre de la nuit, de détruire chez nos têtes blondes jusqu’au plaisir de regarder les étoiles briller dans le ciel.

Et puis, il ne suffit pas d’avoir le “bon rêve”. Encore faut-il s’atteler à sa réalisation plutôt que de se satisfaire simplement de la jouissance procurée par sa vision onirique. “En suivant le chemin qui s’appelle plus tard, nous arrivons sur la place qui s’appelle jamais” aurait écrit Sénèque. C’est d’ailleurs bien souvent à cette deuxième étape de la recette fort simple en tête de cet article, “2. Le réaliser”, que le bât blesse le plus.

Gabriele Oettingen et Angela Duckworth, professeures de psychologie à l’université de New York et de Pennsylvanie, nous proposent heureusement une méthodologie validée scientifiquement pour aider, entre autres, à l’atteinte des rêves et objectifs scolaires : le contraste mental avec intentions d’implémentations.

Dans leur article, From Fantasy to Action: Mental Contrasting with Implementation Intentions (MCII) Improves Academic Performance in Children publié en 2013 dans la revue Social psychological and personality science, elles nous présentent une stratégie méta-cognitive1 auto-régulée2 de poursuite d’un objectif qui permet d’améliorer à la fois l’engagement de passage à l’acte et la capacité à surmonter les obstacles.

1. En grec ancien, le préfixe μετά (meta) signifie « sur, à propos, après, au-delà de ». La métacognition est donc la cognition sur la cognition, c’est-à-dire, l’activité mentale que nous pouvons avoir sur nos propres processus mentaux, les pensées que nous formons sur nos propres pensées. En psychologie de l’éducation, la métacognition désigne la composante du savoir d’un individu qui concerne les processus mêmes de son savoir (acquisition, perpétuation, modification), en quelque sorte ce qu’il sait de sa façon de savoir.

2. L’autorégulation est le nom donné à la régulation d’un système par lui-même. Par exemple, la température des animaux à sang chaud, dont nous faisons partie, est un système auto-régulé. Dans le domaine de la cognition, une stratégie autorégulée est un processus actif par lequel les apprenants se fixent des buts pour leur apprentissage et puis tentent d’enregistrer et contrôler cette apprentissage guidés et contraints par leur but, contexte et environnement.

Dans une expérience menée auprès de 77 écoliers de CM2 en milieu urbain, la pratique de cette stratégie, la MCII3, a permis aux élèves d’améliorer significativement leurs notes, leur participation et leur conduite scolaire. Mais en quoi consiste donc exactement cette MCII ?

3. MCII est l’acronyme en anglais de Mental Contrasting with Implementation Intentions

La première technique, dite du contraste mental, est issue de la ligne de recherche qui vise à tester les lois de l’attraction (celles de Rhonda Byrne et non de Newton). A savoir, est-ce qu’il suffit de rêver pour changer sa réalité ?

Gabriele Oettingen a donc comparé expérimentalement plusieurs attitudes :

  • La “complaisance”, qui consiste à ne penser qu’au futur une fois que l’objectif est atteint, c’est à dire se satisfaire simplement de la jouissance procurée par la vision onirique de l’atteinte future du rêve.
  • La “rumination”, qui consiste à ne penser qu’au présent sans activer de représentation mentale du futur, et donc à ne penser qu’au travail qui s’impose, aux obstacles que l’on peut rencontrer, etc.
  • Le “contraste mental, qui consiste à visualiser à la fois le futur une fois que l’objectif sera atteint et le présent avec tous les obstacles possibles qui le séparent de ce futur.

Si la complaisance évoque un état agréable par la simulation de l’atteinte de l’objectif, le risque est avéré que cette satisfaction vicaire, c’est-à-dire procurée par l’imagination de l’atteinte et non par l’atteinte, n’engendre pas de passage à l’acte. De même, la rumination, par manque de direction claire vers le futur non imaginé, ne stimule pas non plus l’engagement. En revanche, l’association du présent et du futur par la technique du contraste mental favorise l’activation de l’engagement vers l’objectif désirable et faisable sélectionné. 

Ces conclusions revisitent de manière cohérente les résultats de A. Bandura, Cultivating Competence, Self-Efficacy, and Intrinsic Interest Through Proximal Self-Motivation, publiées en 1981 dans le Journal of Personality and Social Psychology. Dans cette étude, Bandura avait comparé les progrès en mathématiques d’élèves selon qu’ils se fixaient des buts d’apprentissage proches – par exemple avoir lu au moins 6 pages de cours par jour, lointains – par exemple avoir lu l’intégralité des 42 pages du cours, ou aucun but. Il avait conclu que la fixation de buts proches, c’est-à-dire pour lesquels les élèves peuvent à la fois imaginer le résultat à obtenir et le chemin à suivre pour ce faire en partant de leur situation présente conduisait à une amélioration significative des performances.

Si la technique du contraste mental permet donc de lancer sur de bonnes bases les premiers pas des écoliers sur le voyage de l’atteinte de leurs objectifs scolaires, celui-ci n’en fait pas moins mille lieues. Et c’est précisément pour soutenir la force de l’engagement initial obtenu par le contraste mental, que Gabriele Oettingen et Angela Duckworth, recommandent d’utiliser la technique des intentions d’implémentations. 

Cette technique des intentions d’implémentation consiste à planifier les réactions aux obstacles anticipés par des listes du type “SI cet obstacle se présente, ALORS j’adopterai ce comportement”. La visualisation préalable de ces obstacles et des réponses possibles activera plus efficacement l’attention, la perception et la mémoire face à ces obstacles. Elle permettra aussi une mobilisation automatique et efficace du comportement souhaité si l’obstacle se présente.

Cette attitude de résolution concrète des problèmes est opposé à une attitude délibérative par le père de cette technique, Peter Gollwitzer. Peter Gollwitzer n’est autre que le mari de Gabriele Oettingen, et est lui aussi professeur de psychologie à l’université de New York. Dans son chapitre Deliberative versus implemental mindsets in the control of action extrait du  livre Dual-process theories in social psychology, il explique que l’attitude délibérative qui consiste à se reposer des questions face à l’obstacle (“Est-ce que je poursuis le bon but ? Quelles sont les différentes options face à cet obstacle ?”) peut parfois présenter quelques avantages mais que généralement, sa charge cognitive est plus élevée et la remise en question de l’engagement est plus forte. C’est donc pour cela que les intentions d’implémentation sont recommandées afin d’anticiper en amont les difficultés potentielles ainsi que les stratégies qu’il conviendrait alors de mettre en oeuvre.

Gabriele Oettingen a réalisé différentes études, rapportées par exemple dans When planning is not enough publié dans le European Journal of Social Psychology, qui démontrent l’existence d’une synergie significative entre le contraste mental et les intentions d’implémentations : l’alliance de ces deux techniques procure des résultats supérieurs à l’utilisation de l’une ou l’autre prises isolément.

Pour enseigner cette alliance efficacement à nos écoliers, les deux conceptrices de la méthode nous offrent un nom moins barbare que la terminologie scientifique “contraste mental avec intentions d’implémentations”. C’est la méthode WOOP (en anglais “Wish Outcome Obstacle Plan”), que l’on peut traduire en français par “Voeux, Résultats, Obstacles, Plan”.

Afin de pratiquer le WOOP, il est important de réserver un temps de réflexion calme, confortable et ininterrompu à nos écoliers pour leur permettre d’engager pleinement leurs pensées et capacités de représentations mentales sur chacun des points suivants :

  1. La formulation du voeu (le W pour wish du WOOP) doit être concise et porter sur un objectif scolaire désirable, faisable, accessible tout en étant suffisamment difficile.
  2. La représentation du résultat (le O pour outcome du WOOP) doit permettre de vérifier que ce résultat est réellement désiré et que le futur dans lequel cet objectif est atteint est clairement imaginé.
  3. L’imagination des obstacles (le O d’obstacle du WOOP) doit aboutir à sélectionner l’obstacle interne principal à l’atteinte du résultat, en vérifiant bien que ce dernier n’est pas un prétexte ou une fausse excuse.
  4. La mise en place du plan (le P de plan du WOOP) permet de trouver une action ou une pensée qui permettra de surmonter l’obstacle identifié à l’étape précédente, avec une structure du type : “Si [obstacle], alors, je vais [action/pensée]”

Soulignons l’importance de l’internalité des obstacles imaginés à la troisième étape et rappelons qu’un obstacle interne est du ressort de l’écolier lui-même, par exemple choisir ou non de jouer à des jeux vidéos au lieu de travailler, ou encore de s’interrompre en permanence pour se distraire sur les réseaux sociaux. Un obstacle externe est un obstacle qui dépend lui de circonstances extérieures, par exemple les bruits de marteaux-piqueurs des travaux dans la rue. Cette focalisation sur les obstacles internes favorise l’attribution causale interne précisément : l’élève s’interroge sur ce qui, en lui, peut le mettre en difficulté limitant la possibilité de mauvaise foi facilitée avec par exemple une attribution externe “J’ai échoué car la consigne était mal posée ou l’exercice trop difficile”. Elle active l’engagement de l’écolier en le responsabilisant et lui faisant adopter un posture active : il réfléchit sur les moyens de contrôle à sa disposition pour atteindre ses objectifs. Elle le protège enfin de l’impasse décourageante car impossible de chercher à contrôler ce qui n’est pas de son ressort, comme par exemple prédire si l’examen portera sur la partie du programme qu’il préfère le moins ou non.

Un exemple concret de WOOP pourrait être le suivant :

  • Voeu : Je veux obtenir un A à l’interrogation sur les tables de multiplication.
  • Résultat : Je serai fier de moi.
  • Obstacle : J’ai tendance à jouer aux jeux vidéos plutôt que de réviser.
  • Plan : Si je prends ma console, je ferai sept multiplications de tête avant de l’allumer.

Cette méthode simple permet de transmettre aux écoliers une stratégie métacognitive qui évite l’écueil de ce que les anglo-saxons appellent le wishful thinking et que nous appelons en français les voeux pieux.. Son message à nos têtes blondes est plutôt, pour reprendre les mots de leurs créatrices : 

“Si tu as un rêve, tu as juste fais le premier pas. Imagine maintenant les obstacles qui se trouvent sur le chemin de sa réalisation. Fais un plan pour les surmonter et suis-le. De cette manière, tu t’aideras le concrétiser”.

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